« Cet avatar d’une version du paradis absurdement ratée » Exégèse prophétique d’un poème d’Aimé Césaire


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samedi 29 février 2020
Diocèse de Martinique

Dans son « poème calendrier lagunaire », Aimé Césaire, avec la beauté violente de sa plume, met à nu une certaine vision de notre pays par nous-mêmes :

Le poète révèle la souffrance de l’inintelligibilité (ou du mystère insondable) de cette terre pour ses propres habitants1.

Il évoque, bien sûr, l’incontournable cicatrice barbare tracée dans notre âme par la traite et l’esclavage2.

Il exprime comme impossible la paix vers laquelle, comme tout humain, court, brûlant, le Martiniquais, dans un combat aux accents désespérés, vers une fin humainement inaccessible3.

Il avoue la fuite pusillanime à laquelle semble condamnée toute élévation de notre culture sociale4.

Il relate un cauchemar qui infeste régulièrement, époque après époque, l’âme de chacun et de tous5.

Il raconte la fragilité complexée d’un peuple qui, comme un épi gracile ou un insecte éphémère, subit les cyclones, les éruptions ou les séismes de sa terre et de son histoire6.

Il témoigne aussi que la force de ses paroles n’a d’égale que la gravité de son mal incessant7

Mais voici la phrase la plus terrible, la plus violente, peut-être la plus vraie, de son poème… Elle témoigne d’un amour filial déçu, pour une terre-mère qui semble maladroite à rassasier8 ses enfants du lait spirituel et culturel désiré. Elle est empreinte d’une nostalgie résignée, surprenante quand on connaît la vie et l’œuvre de l’homme…

« Je m’accommode de mon mieux de cet avatar d’une version du paradis absurdement ratée - c’est bien pire qu’un enfer »

Le poète, surtout celui-là, est bien plus sage que les raisonneurs, les politiques, les intellectuels, les émeutiers ou les marchands de ce siècle ! Lui qui connaît la force des mots n’ignore pas l’ineptie des sophistes qui prétendront, hier ou demain, détenir une solution au mal-être de nous. Ici une fuite en avant, là une providence étatique, là-bas une révolution sanguinaire, plus près une danse effrénée ou une parade masquée, demain une réclame alléchante, aujourd’hui une promesse de campagne, après-demain une solution miracle… rien n’y fera à l’avenir, comme rien n’y a fait jadis, inutile de rêver ou de se battre : avec nos pauvres armes, nous ne sommes qu’un papillon au milieu d’un vent cyclonique… « L’avatar du paradis raté » !

Mais puisque Césaire nous fait l’honneur de parler de « Paradis » et « d’enfer », nous voilà fondés à introduire quelqu’un qu’on ne peut ignorer dans l’équation martiniquaise… le Dieu Créateur et Sauveur ! Celui qui écoute la supplique des pauvres ! Celui qui a sauvé Adam de sa chute, Abraham de sa stérilité, Moïse des mains de Pharaon, Israël de l’esclavage et de l’errance, David de son péché, le peuple des ténèbres, Madeleine de sa débauche, la Samaritaine de son égarement, l’aveugle de sa cécité, Lazare de son tombeau et Jésus de la mort !... Aimé provoque le croyant à crier : « Je suis pauvre et malheureux, mon Dieu, viens vite ! Tu es mon secours, mon libérateur : Seigneur, ne tarde pas ! » (Ps 69, 3).

2020, un carême à ne pas rater !

Fr. David Macaire
Archevêque de Saint-Pierre et Fort-de-France


1 « J’habite, dit-il, une blessure sacrée, j’habite des ancêtres imaginaires, j’habite un vouloir obscur, j’habite un long silence, j’habite une soif irrémédiable ».
2 « J’habite un voyage de mille ans, j’habite une guerre de trois cents ans ».
3 « J’habite de temps en temps une de mes plaies, chaque minute je change d’appartement et toute paix m’effraie tourbillon de feu »
4 « J’habite donc une vaste pensée, mais le plus souvent je préfère me confiner dans la plus petite de mes idées »
5 « À vrai dire je ne sais plus mon adresse exacte bathyale ou abyssale, j’habite le trou des poulpes, je me bats avec un poulpe pour un trou de poulpe »
6 « Frères n’insistez pas vrac de varech m’accrochant en cuscute ou me déployant en porona c’est tout un et que le flot roule et que ventouse le soleil et que flagelle le vent ronde bosse de mon néant »
7 « La pression atmosphérique ou plutôt l’historique agrandit démesurément mes maux même si elle rend somptueux certains de mes mots »
8 Ne parle t-il pas d’habiter « le pis le plus sec du piton le plus efflanqué (…) le troupeau de chèvres tirant sur la tétine de l’arganier le plus désolé ? »

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