Nous connaissons tous la beauté singulière de Noël en Martinique : les rencontres familiales, les chanté Nwèl, les parfums de saison, les lumières des quartiers, les ragoûts, les yanm sasa, le chwòb, les pâtés et les jambons, la ferveur des chants, les églises pleines de visages que l’on ne voit pas toujours le reste de l’année. Notre Noël a une âme, et cette âme nous engage. Noël, en Martinique, n’est pas une coutume ou un moment de fièvre commerciale. C’est un appel. Un appel pressant à faire la paix pour de bon !
Nous vivons tous les tensions du pays : violences ordinaires, quartiers déchirés, familles fracturées, divisions politiques qui s’annoncent déjà explosives à l’approche des élections, blessures anciennes jamais refermées, malaise social persistant. À cela s’ajoutent l’économie fragile, la cherté de la vie, la jeunesse qui s’en va, et parfois, dans nos propres milieux chrétiens, des querelles qui n’ont rien d’évangélique.
Noël vient nous rappeler que la Paix n’est pas un luxe : c’est une urgence vitale. Nos « chanté Nwèl », nos crèches des rues, nos repas, nos messes ne sont pas un folklore mais un acte de résistance spirituelle. Quand tout vacille, on se rassemble, on chante, on prie, on rit. « lè nou chanté Nwèl, sé kon si Bondjé ka mété balizaj an tjè nou », disait une mamie d’un quartier de Fort-de-France. Et c’est vrai ! Les traditions de Noël, chez nous, ne sont pas une illusion naïve mais un ferment d’espérance.
Cette joie est un mensonge si elle ne se traduit en actes de réconciliation. Comment prier pour la paix du monde, ou manifester contre les violences si on entretient des rancoeurs vieilles de vingt ans ? Comment rêver d’une Martinique plus stable si le « palé moun mal » et le « makrélaj » remplacent la solidarité ? Fè lapé la kay-ou avan’w alé légliz épi bel chandèl !
Notre histoire nous a appris que l’équilibre n’est jamais acquis ; il se construit, jour après jour, au prix d’efforts constants pour dominer nos blessures. Les peuples qui ont dû lutter pour leur dignité savent mieux que les autres combien la paix est fragile et nécessaire. Et nous en faisons partie : nos aïeux ont dû, à travers drames et misère, trouver en Jésus une raison de tenir debout, de refuser l’écrasement, de préserver la dignité. Ils ont appris – parfois dans les larmes – qu’aucun peuple ne survit sans répondre à l’appel divin par des gestes concrets, même petits, même fragiles. À Noël, justement, Dieu se fait petit pour nous rappeler que la Paix commence petit : un pardon donné, une visite, un cadeau, un texto à quelqu’un d’oublié, une dispute qu’on laisse tomber, un geste pour un voisin en difficulté.
La Martinique porte en elle des tensions fortes, mais aussi une grâce immense : celle d’être un carrefour de peuples. Ici, on a appris – tant bien que mal – le vivre ensemble. Cette terre blessée a une vocation : montrer comment la Paix peut éclore même là où l’histoire fut violente. Noël, en Martinique, doit être ce temps où un peuple tout entier renonce aux ténèbres pour marcher dans la lumière du Christ.
Chaque génération assume cette responsabilité d’entretenir, non pas une paix « sucrée », de façade, mais une paix courageuse, active, quotidienne. Noël est un appel à réapprendre la réconciliation, à faire le premier pas, à refuser les querelles qui empoisonnent la vie sociale. C’est le temps de « tuer les cochons », ces « kankan » que nous nourrissons en pensée, en parole, par action et par omission d’années en années.
Alors, en cet Avent, faisons de nos foyers, de nos quartiers, de nos paroisses des laboratoires de paix pour ce peuple qui veut tenir debout et préparer un avenir moins angoissé. Choisissons résolument la paix : c’est la meilleure façon de chanter aujourd’hui « Venez Divin Messie » et demain « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur notre île aux hommes de bonne volonté » !
+ Fr David Macaire, Archevêque de Saint-Pierre et Fort-de-France ■
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