Ne lui dites surtout pas que je vous ai dit ça : elle me traitera d’archaïque et de menteur. Elle vous dira qu’elle aime la vie, plus que tout, plus que moi. Mais la vie qu’elle aime, elle ne le sait peut-être pas, est une vie superficielle, virtuelle et menteuse : une vie où on est toujours jeune, toujours beau, toujours riche, toujours aimé, toujours en bonne santé et toujours en mouvement… en fait, une vie qui n’existe pas.
La vraie vie, celle qui ne veut connaître que les beautés, les joies durables et réelles des profondeurs, elle se reconnaît dans le visage du travailleur fatigué, de l’enfant qui chante, libre de tout écran, de la maman épuisée en fin de journée, du pauvre que l’on a aidé, de l’étranger accueilli ne serait-ce que d’un sourire, du prisonnier visité, du malade que l’on tient par la main… Notre société a du mal à reconnaître cette vie-là.
Revenons au malade qui va vers la fin. Aux yeux du monde, la vie est partie, ou en tout cas elle est en train de partir, elle s’amenuise. Avec la santé ou la jeunesse, la société s’enfuit, la compagnie aussi, même chez nous. Bientôt, plus personne ou très peu. Il ne reste plus, auprès de certains gens alités, qu’une télé allumée pour donner un peu de « vie » à une chambrette à l’odeur des médicaments.
Comme si l’exemple désastreux des sociétés occidentales n’avait pas suffi, nous avons foncé dans le mur de l’isolement des personnes âgées, des malades et des faibles. Ceux qu’on appelait jadis des « grandes personnes » sont devenus parfois des quantités négligeables. C’est un piège qui assombrit terriblement l’avenir de tous et fait sombrer le présent de chacun dans l’angoisse désespérée du carpe diem : « mangeons et buvons car demain nous mourrons » (1 Co 15,32).
Les penseurs nihilistes de cette civilisation des ténèbres ont depuis longtemps appris aux familles à avoir de moins en moins d’enfants, afin de plus en plus les « gâter ». Oui, mais voilà, nos grands-mères vieillissaient avec un « minimum vieillesse » de quelques dizaines de petits enfants, elles transmettaient la vie par une vieillesse vivante, même dans la maladie et jusqu’au moment de leur dernier soupir. Notre génération se propose de vieillir avec de belles pensions, bien soignée, mais sans famille, dans une mortelle solitude. C’est un choix.
Ajoutons que la solitude, plus gourmande que prévu, n’attend plus la vieillesse ou la maladie pour nous affecter : les séparations, les divorces, les divisions familiales, une vie dissolue ou tout simplement une carrière bien remplie favorisent l’arrivée précoce du fléau dans notre existence… Et dire que notre monde croit aimer la vie !
Et si, au contraire, ceux qui luttent entre la vie et la mort, ceux qui tiennent malgré une santé décadente ou un handicap humiliant, étaient, bien plus que les soirées et les fêtes, l’antidote durable à nos angoisses mortifères. Lors de mes visites pastorales, j’ai l’occasion de visiter, à domicile ou dans des centres, des dizaines de personnes souffrantes et diminuées par l’âge ou la maladie… Vous ne devinerez jamais à quel point elles sont pour moi une recharge d’énergie et de vie. Rien n’est plus vivifiant que quelqu’un qui ne gaspille pas son peu de santé, mais le mobilise pour aimer, vivre… et finalement montrer Jésus.
Voici donc un des secrets pour guérir de notre maladie de l’isolement : offrir une présence fraternelle à un malade ou une personne seule. Peut-être obtiendrons-nous un merci, mais ne nous y trompons pas : celui des deux qui sera guéri, celui des deux qui aura repris vie et aura rechargé sa batterie de tendresse… n’est pas celui qu’on pense.
Et si l’un des projets de la société Martiniquaise et de nos paroisses dans les années qui viennent était de ne plus garder aucune personne âgée et aucun malade sans famille ?!
Pensons-y !
+ fr. David Macaire, op
Archevêque de Saint-Pierre et Fort-de-France
Ne lui dites surtout pas que je vous ai dit ça : elle me traitera d’archaïque et de menteur. Elle vous dira qu’elle aime la vie, plus que tout, plus que moi. Mais la vie qu’elle aime, elle ne le sait peut-être pas, est une vie superficielle, virtuelle et menteuse : une vie où on est toujours jeune, toujours beau, toujours riche, toujours aimé, toujours en bonne santé et toujours en mouvement… en fait, une vie qui n’existe pas.
La vraie vie, celle qui ne veut connaître que les beautés, les joies durables et réelles des profondeurs, elle se reconnaît dans le visage du travailleur fatigué, de l’enfant qui chante, libre de tout écran, de la maman épuisée en fin de journée, du pauvre que l’on a aidé, de l’étranger accueilli ne serait-ce que d’un sourire, du prisonnier visité, du malade que l’on tient par la main… Notre société a du mal à reconnaître cette vie-là.
Revenons au malade qui va vers la fin. Aux yeux du monde, la vie est partie, ou en tout cas elle est en train de partir, elle s’amenuise. Avec la santé ou la jeunesse, la société s’enfuit, la compagnie aussi, même chez nous. Bientôt, plus personne ou très peu. Il ne reste plus, auprès de certains gens alités, qu’une télé allumée pour donner un peu de « vie » à une chambrette à l’odeur des médicaments.
Comme si l’exemple désastreux des sociétés occidentales n’avait pas suffi, nous avons foncé dans le mur de l’isolement des personnes âgées, des malades et des faibles. Ceux qu’on appelait jadis des « grandes personnes » sont devenus parfois des quantités négligeables. C’est un piège qui assombrit terriblement l’avenir de tous et fait sombrer le présent de chacun dans l’angoisse désespérée du carpe diem : « mangeons et buvons car demain nous mourrons » (1 Co 15,32).
Les penseurs nihilistes de cette civilisation des ténèbres ont depuis longtemps appris aux familles à avoir de moins en moins d’enfants, afin de plus en plus les « gâter ». Oui, mais voilà, nos grands-mères vieillissaient avec un « minimum vieillesse » de quelques dizaines de petits enfants, elles transmettaient la vie par une vieillesse vivante, même dans la maladie et jusqu’au moment de leur dernier soupir. Notre génération se propose de vieillir avec de belles pensions, bien soignée, mais sans famille, dans une mortelle solitude. C’est un choix.
Ajoutons que la solitude, plus gourmande que prévu, n’attend plus la vieillesse ou la maladie pour nous affecter : les séparations, les divorces, les divisions familiales, une vie dissolue ou tout simplement une carrière bien remplie favorisent l’arrivée précoce du fléau dans notre existence… Et dire que notre monde croit aimer la vie !
Et si, au contraire, ceux qui luttent entre la vie et la mort, ceux qui tiennent malgré une santé décadente ou un handicap humiliant, étaient, bien plus que les soirées et les fêtes, l’antidote durable à nos angoisses mortifères. Lors de mes visites pastorales, j’ai l’occasion de visiter, à domicile ou dans des centres, des dizaines de personnes souffrantes et diminuées par l’âge ou la maladie… Vous ne devinerez jamais à quel point elles sont pour moi une recharge d’énergie et de vie. Rien n’est plus vivifiant que quelqu’un qui ne gaspille pas son peu de santé, mais le mobilise pour aimer, vivre… et finalement montrer Jésus.
Voici donc un des secrets pour guérir de notre maladie de l’isolement : offrir une présence fraternelle à un malade ou une personne seule. Peut-être obtiendrons-nous un merci, mais ne nous y trompons pas : celui des deux qui sera guéri, celui des deux qui aura repris vie et aura rechargé sa batterie de tendresse… n’est pas celui qu’on pense.
Et si l’un des projets de la société Martiniquaise et de nos paroisses dans les années qui viennent était de ne plus garder aucune personne âgée et aucun malade sans famille ?!
Pensons-y !
+ fr. David Macaire, op
Archevêque de Saint-Pierre et Fort-de-France
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