Guérir le monde par l’Evangile Ecclesia’M 2020 : 4ème Chantier de conversion pastorale !


Informations

dimanche 20 novembre 2016
Diocèse de Martinique

Mgr David Macaire présente l’avant-dernier chantier du plan pastoral Ecclesia’M 2020 et les trois ateliers à mettre en place pour le mener à bien.

REFLEXION GENERALE

EEM : Monseigneur, merci de nous dévoiler votre plan pastoral avec ses interviews successives. Nous abordons aujourd’hui l’avant-dernier chantier d’ECCLESIA’M 2020 ! dans lequel vous nous proposez de « guérir le monde par l’Evangile ». Pouvez-vous nous donner quelques précisions ?

Volontiers ! Ce travail consiste à réaliser la mission de l’Eglise exprimée par Vatican II : « Le Concile, témoin et guide de la foi de tout le Peuple de Dieu rassemblé par le Christ, ne saurait donner une preuve plus parlante de solidarité, de respect et d’amour à l’ensemble de la famille humaine, à laquelle ce peuple appartient, qu’en dialoguant avec elle sur ces différents problèmes, en les éclairant à la lumière de l’Évangile, et en mettant à la disposition du genre humain la puissance salvatrice que l’Église, conduite par l’Esprit Saint, reçoit de son Fondateur. C’est en effet l’homme qu’il s’agit de sauver, la société humaine qu’il faut renouveler. (Gaudium et Spes, n°4).

Le chemin est donc clairement tracé : respecter ce monde et lui montrer notre solidarité, entrer en dialogue, apporter les lumières de l’Evangile et la puissance salvatrice de Jésus dans les réalités de ce monde. Car nous savons (et en Martinique beaucoup en sont convaincus) que si l’Evangile n’est pas le levain de ce monde, celui-ci court à sa perte !

EEM : Mais on dit que Satan est le « prince de ce monde » !? Comment entrer en dialogue et espérer sauver un « royaume » dont certains pensent qu’il est foncièrement mauvais ?

Même si c’était vrai, pensez-vous que le Christ, qui est descendu aux enfers pour ramener à la vie ceux qui étaient tenus captifs de la mort serait incapable de sauver ce monde !? Pourquoi s’est-il incarné ? Pourquoi a-t-il souffert la passion ? Pourquoi est-il mort sur la croix ? Et pourquoi est-il ressuscité ? Sinon pour sauver le monde ! Cela dit, même si Satan apparaît parfois comme le prince de ce monde, n’oublions pas que Jésus-Christ en est le Roi, l’alpha et l’oméga. C’est lui qui a semé le bon grain. L’autre n’a fait que mettre un peu d’ivraie pour donner l’illusion qu’il a un pouvoir. En d’autres termes, la croissance visible et intempestive du mystère d’iniquité ne doit pas nous détourner de l’Espérance de la croissance du Royaume de Dieu : « n’ayons pas peur » !

D’ailleurs, ce thème est la suite logique du Jubilé de la Miséricorde : Si Dieu nous a arrachés à la misère pour nous transplanter dans sa lumière, ne peut-il le faire pour les réalités de ce monde marquées par le mal !? Miséreux nous-mêmes, nous ne pouvons pas regarder ce monde de haut, mais comme des malades relevés par la grâce du seul médecin de nos vies : Jésus ! En d’autres termes, l’Eglise doit entreprendre ce chantier avec humilité et charité, consciente qu’elle est elle-même un « hôpital de campagne » et non un club de saints.

EEM : Sur quoi l’Eglise peut-elle dialoguer et guérir le monde ?

D’abord, si l’Eglise désire entrer en dialogue avec le monde sur différents sujets, c’est parce que l’Esprit la convoque et lui donne mandat de porter la lumière de l’Evangile. Les thèmes changent selon les époques et les lieux, c’est pourquoi nous sommes invités à « scruter les signes des temps », mais le mandat reste le même. C’est un mandat prophétique.

Donc, pour répondre à votre question, bien des sujets de société intéressent l’Eglise, notamment ceux qui concernent la vie et le bonheur de l’Homme créé à l’image et à la ressemblance de Dieu : sa vie sociale, c’est-à-dire étymologiquement « la politique », la justice, son rapport à la nature, la paix dans le monde, le travail, les loisirs, la culture, les religions… Au niveau mondial, nous savons à quel point le Vatican et le Pape jouent un grand rôle en ces domaines au nom du Christ. À l’échelon local, il doit en être de même.

Dieu merci, la pensée de l’Eglise est ancienne et profonde et elle est de plus en plus écoutée, d’autant plus que les grandes idéologies mensongères se sont écroulées ces dernières décennies. C’est donc le moment favorable de proposer au monde cette visée inspirée par l’Evangile, gratuitement et sans arrière-pensée. L’Eglise ne défend aucun intérêt particulier lorsqu’elle apporte sa contribution au monde ; par amour, elle offre les lumières de la Parole de Dieu.

LES ATELIERS DU CHANTIER

EEM : Quels ateliers sont pour vous nécessaires ?

Je souhaite qu’il y ait les trois ateliers suivants :

1) La diffusion de la « Doctrine Sociale de l’Eglise  ». Au moyen de la pensée de l’Eglise sur les rapports des hommes entre eux dans la société, comment aider le monde politique, le monde de l’entreprise, les décideurs, les communiquants à bâtir une Civilisation de l’Amour et du respect de la Nature.

2) La création et l’animation de pastorales spécialisées, selon les réalités sociales : le tourisme, la culture, les migrants, le monde de la mer…

3) La réflexion prophétique sur l’avenir de la société martiniquaise pour préparer l’Eglise aux évolutions futures.

EEM : Eh bien Monseigneur, comme d’habitude, dites-nous ce que vous attendez de ce travail !

La société martiniquaise se cherche ; souvent « la » politique déçoit et divise. Or, il se trouve que l’Eglise a quelque chose à dire au monde. La diffusion de la Doctrine Sociale de l’Eglise est la traduction politique de l’Evangile. Les principes de cette vision politique sont simples ; ils relèvent du bon sens ; ils ne sont ni de droite ni de gauche. Et l’expérience montre que ces principes ont en général l’assentiment de tous quand on les exprime de façon adéquate. Encore faut-il les exprimer et pour cela les connaître. Malheureusement, même les catholiques ignorent ce trésor de leur Eglise.

Or, l’attente est grande. Il est urgent de redonner espoir en la Martinique aux Martiniquais et surtout aux jeunes. Alors que tant de personnes de l’extérieur viennent chez nous, deviennent créateurs et exploitent avec intelligence le potentiel de notre île, il faut que cet atelier montre qu’il y a encore chez nous des places au soleil. Il ne faut plus que notre jeunesse n’envisage son avenir qu’en regardant vers l’extérieur. Qu’ils redeviennent des bâtisseurs remplis d’espérance ! Je suis persuadé qu’en Martinique il y a, certes, peu d’emplois, mais qu’il y a du travail. Il faut inciter les jeunes à créer eux-mêmes leur travail plutôt que d’attendre un emploi. Le pape François l’affirme sans ambiguïté : « Il est impérieux de promouvoir une économie qui favorise la diversité productive et la créativité entrepreneuriale. » (Laudato Si n°129). J’ai demandé spécialement à l’Action Catholique de faire un recensement des raisons socio-économiques d’espérer dans l’avenir du pays. Ce recensement nourrira la réflexion des prêtres, des fidèles et des groupes de formation des jeunes.

Il faut aussi que tous les chrétiens qui s’intéressent aux questions sociales, politiques, économiques et écologiques connaissent l’enseignement de Laudato Si, l’encyclique du pape François, saluée dans le monde entier comme un sommet de la sagesse humaine et un texte fondateur d’une Civilisation du Bonheur ! Je souhaite que toutes les entités ecclésiales veillent à donner accès à cet enseignement au plus grand nombre par des conférences, des groupes de travail ; pourquoi ne pas profiter de certaines homélies !? Je pense notamment à l’Observatoire Socio-Politique de l’Eglise en Martinique (l’OSPEM) dont j’ai confié l’organisation et l’animation à Yves-Marie Grivalliers, accompagné du père Benjamin François-Haugrin. Il s’agira aussi d’entrer en dialogue avec le monde politique et de former les fidèles à cette pensée. Cet atelier comprend aussi la promotion des mouvements et des groupes comme les Entrepreneurs et Dirigeants Chrétiens, le réseau Zachée, qui mènent une réflexion et offrent un accompagnement spirituel à des décideurs.

EEM : Vous êtes ambitieux Monseigneur !?

Je vous ai déjà dit que j’ai l’ambition que la Martinique devienne la première société au monde à bâtir une Civilisation de l’Amour et de l’Écologie intégrale, celle qui englobe et unifie profondément l’Homme, la nature, l’activité humaine… et Dieu ! Mais, pour l’instant, mon ambition est de voir notre Eglise non pas se calfeutrer dans des sanctuaires, mais jouer pleinement son rôle dans cette société.

EEM : Ensuite, vous nous proposez un atelier pour répondre aux besoins de certains milieux précis. C’est cela ?

Oui. En « scrutant les signes des temps » (cf. Vatican II), nous entendons des appels de ce monde, les lieux où le monde ouvre une porte et réclame la présence des témoins du Christ. Mon année de visites et de rencontres m’a montré différents milieux qui attendent de l’Eglise une présence, une réponse, un témoignage, des semailles, une âme : l’animation de Pastorales spécialisées.

EEM : Qu’est-ce qu’une « Pastorale spécialisée » ?

C’est un service, un groupe de personnes issu d’une réalité sociologique cohérente (par exemple : les jeunes, les migrants, les artistes…) accompagné par un « Délégué Diocésain » qui cherche les moyens de faire de l’Évangile le ferment de ce milieu particulier. On emploie aussi le terme « d’aumônerie » animée par un « aumônier ». Ce groupe de personnes va chercher à Montrer Jésus et répondre aux besoins pastoraux spécifiques (accompagnement, réflexion, rassemblements, formation, prière, sacrements…).

Dans d’autres chantiers, nous avons déjà parlé de l’urgence de la Pastorale de la Famille, de la Pastorale des Hommes, de la Pastorale des Jeunes ou de la mission de l’Aumônerie Antilles-Guyane en Métropole. Dans le cadre de cet atelier-ci, nous pouvons noter qu’il y a dans notre diocèse des pastorales qui sont déjà à l’œuvre : la Pastorale de la Santé (aujourd’hui animée par le Dr Joël Boko et son équipe diocésaine) ou l’Aumônerie de la Prison (animée par le diacre Emmanuel Lordinot et accompagnée par le père Thierry Aurokiom).

Mais j’aimerais insister sur d’autres pastorales qui ne sont pas assez ou pas du tout mises en œuvre dans notre diocèse et qui doivent l’être urgemment dans le cadre de ce chantier.

EEM : Quels sont donc ces lieux et milieux où l’Eglise doit intensifier son action ?

D’abord, la Pastorale du Tourisme, que j’ai confiée au père Luc Philippon. Il s’agira d’accompagner les professionnels de ce monde, de penser à des moyens (documents, évènements, formation…) de Montrer Jésus à ceux qui passent en Martinique et qui sont souvent frappés par l’expression de la foi chez nous et de développer un véritable accueil des visiteurs, y compris de nous-mêmes lorsque nous visitons notre pays.

EEM : Encore l’Accueil !?

Exactement ! C’est l’un des maîtres mots de ECCLESIA’M 2020 ! Il faudra mettre en œuvre par exemple l’ouverture des églises demandée par le pape en ces termes : « L’Église est appelée à être toujours la maison ouverte du Père. Un des signes concrets de cette ouverture est d’avoir partout des églises avec les portes ouvertes. De sorte que, si quelqu’un veut suivre une motion de l’Esprit et s’approcher pour chercher Dieu, il ne rencontre pas la froideur d’une porte close » (Evangelii Gaudium, n°47).

Dans le même ordre d’idée, il faudra davantage développer la Pastorale de la Culture et l’Aumônerie des Artistes, portée par Olivier Cypria. Il s’agit d’encourager le monde culturel dans son ouverture, quasi naturelle chez nous, aux apports de l’Evangile et de l’Eglise catholique. Le travail de Bélè Légliz, de plusieurs prêtres artistes, ou de nos milliers de choristes y est pour beaucoup. Mais il y a aussi les artistes professionnels, les artisans d’art, les écrivains, les poètes, les plasticiens, les associations comme Transcendans et bien d’autres qui œuvrent en ce sens pour la Gloire de Dieu et le salut des hommes.

Je compte beaucoup aussi sur le travail de la Pastorale des Migrants confiée maintenant au père Snell Nord, pour trouver les moyens d’accueillir nos frères venus d’ailleurs dans notre communauté et les aider à trouver leur place dans la société. Il est incompréhensible que bon nombre d’entre eux ne trouvent pas dans notre Eglise un lieu d’accueil fraternel et une famille spirituelle. Je pense à nos chers frères Haïtiens et autres Antillais, mais aussi aux Européens de plus en plus nombreux. Certains sont en grande difficulté, mais pas tous cependant. Tous, par contre, nous apportent de grandes richesses spirituelles et humaines. Honte à nous si nous ne savons pas nous ouvrir à cette visite de notre Seigneur sous les traits de l’étranger. Surtout que c’est un sujet d’avenir dans une Martinique où la population autochtone vieillit et diminue rapidement.

Enfin, je pense à la Pastorale de la Mer que j’ai confiée au père Hyppolite Toglobesse. J’ai reçu un accueil très touchant de ce monde de la mer lors de mes visites pastorales, en particulier de la part des marins-pêcheurs et de leurs familles. J’ai vraiment senti une attente d’un accompagnement de l’Eglise dans ce milieu où la foi, l’espérance et la charité sont nécessaires. J’ai aussi entendu des appels des agriculteurs et du monde des transports… J’espère que des actions concrètes se mettront en place dans le cadre d’ECCLESIA’M 2020 !

En tout cas, je me réjouis d’avoir pu, aux dernières nominations, jeter les bases de la structuration de ces pastorales. D’ores et déjà, des responsables sont au travail, des contacts sont pris dans ces différents milieux et des projets sont en cours de réalisation. Cependant, il reste à produire une vraie réflexion et à structurer un minimum ce travail. C’est un bel atelier !

EEM : Vous avez appelé le dernier atelier de ce chantier « Réflexion prophétique ». Qu’est-ce-à dire ?

« The last but not the least ». En effet, c’est le dernier, mais ce n’est pas le moins important.

Jésus nous dit : « Quand vous voyez un nuage monter au couchant, vous dites aussitôt qu’il va pleuvoir, et c’est ce qui arrive. Et quand vous voyez souffler le vent du sud, vous dites qu’il fera une chaleur torride, et cela arrive. Hypocrites ! Vous savez interpréter l’aspect de la terre et du ciel ; mais ce moment-ci, pourquoi ne savez-vous pas l’interpréter ? » (Luc 12,54-56). Les autres ateliers s’attelleront à scruter les signes du temps présent et à y répondre par des pastorales adaptées. Mais cet atelier de réflexion prophétique est la réponse à l’invitation du Seigneur de scruter les signes des temps à venir, pour saisir les évolutions de la société dans les prochaines décennies, voir les dangers et les appels en matière religieuse, sociale ou morale…

Il y a les opportunités, mais aussi les menaces pour la foi, pour l’Eglise et même pour la société. L’exemple le plus clair est celui du vieillissement. Si notre société va avoir une moyenne d’âge élevée et moins de jeunes, à quoi va ressembler la vie de l’Eglise : quels ministères pour quelle société !?. Par qui et comment seront utilisées les structures et les bâtiments ? Il faudra adapter. Il n’y aura plus autant d’enfants dans la société et donc au catéchisme (cela a déjà commencé).

Et si nos jeunes sont en grande partie à l’étranger, de qui sera composé le monde du travail ici ? De Martiniquais ? de migrants ? quelle religion auront-ils ? Comment l’urbanisme va-t-il évoluer ? Notre organisation ecclésiale est-elle conforme ? Les choses changent vite, plus vite qu’avant. Quand j’ai quitté la Martinique, il y a près de 25 ans, il n’y avait quasiment personne dans les rues ; aujourd’hui, beaucoup de jeunes hommes s’y retrouvent et notre pastorale est prise au dépourvu…

EEM : Vaste programme !?

Oui, plein de questions afin de continuer notre mission de Montrer Jésus partout en Martinique et au-delà, personnellement et en Eglise !

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