"Accompagner et protéger la famille" Ecclesia’M 2020, premier chantier


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dimanche 9 octobre 2016
Diocèse de Martinique

Mgr David Macaire s’explique sur le Premier Chantier ouvert dans le cadre d’Ecclesia’M 2020.

EEM : Monseigneur Macaire, si j’ai bien lu votre lettre pastorale, le premier chantier de l’Eglise en Martinique est celui de la Famille !?

Oui. Et l’énoncé exact de ce chantier est ACCOMPAGNER ET PROTEGER LA FAMILLE.

Pour la petite histoire, c’est au François, alors que je répondais au feu des questions des acteurs de la vie paroissiale rassemblés par le père Jacek Ossowski, que j’ai compris l’importance primordiale de ce chantier pour la vie de l’Eglise, pour répondre aux problèmes de la Martinique et aux défis de l’évangélisation : Pas de famille = pas de société ; pas de famille = pas d’Eglise. Ou encore : famille blessée = société malade ; famille affaiblie = Eglise souffrante.

Au cours de ma première année d’épiscopat, j’ai senti que l’Eglise n’était pas assez familiale (c’est l’objet du deuxième chantier sur la conversion missionnaire de la pastorale), mais la raison profonde de cet état de fait et de bon nombre d’obstacles à l’avènement du bonheur, c’est que les familles de Martinique ne sont pas assez ecclésiales. Les familles ne sont pas considérées comme la première Eglise, la première communauté où Dieu est annoncé, où l’amour est expérimenté, où la mission commence. Je ne reviendrai pas ici sur tous les maux qui touchent et blessent la famille martiniquaise, mais les ateliers que je propose sont là pour répondre à ces problèmes.

EEM : Quels sont donc les ateliers de ce premier chantier ?

Je propose quatre ateliers, les voilà :

1. La structuration et consolidation des mouvements de la Pastorale Familiale

2. Le rapport paroisses-familles : les liens entre les familles de la paroisse, le Dimanche familial, le catéchisme et les sacrements, les funérailles…

3. La question du mariage aux Antilles

4. Les problématiques particulières des membres de la famille… la parentalité, la masculinité, la féminité, le célibat.

EEM : Parlons des mouvements

Je pense principalement aux Centres de Préparation au Mariage, aux Associations Familiales Catholiques, à Solitude Béthanie, aux Equipes Notre-Dame et à la Fraternité « Cana », mais j’espère qu’il y a d’autres réalités. Il s’agit, d’une part de soutenir au maximum, du point de vue logistique et moral, les initiatives de ces mouvements qui portent les différents charismes liés à la famille ; d’autre part, de susciter régulièrement des initiatives diocésaines pour les dynamiser et les faire connaître.

EEM : Il n’y a que ces mouvements et communautés qui s’occupent de la famille ?

Non, justement. Il y a d’abord les familles elles-mêmes au sein de leurs paroisses. Les paroisses doivent mettre la famille au centre de la communauté. Voici quelques pistes à envisager :

La constitution de groupes de familles paroissiaux : pourquoi ne pas créer, ou constituer, avec l’aide ou pas des mouvements, dans chaque paroisse, un ou plusieurs groupes de familles que le prêtre rassemblera de temps en temps et visitera régulièrement (ce sera aussi bon pour le prêtre) ? On en profitera pour construire une véritable culture ecclésiale dans les familles : la prière, le pardon, l’accueil de la vie, la lecture de la Parole de Dieu en famille, l’accueil des pauvres, les vacances, les temps spirituels avec d’autres familles et pour les couples (quand il y a un couple), l’autorité parentale, etc.

La célébration festive et familiale du Dimanche  : Il faudra réfléchir au renouvellement total de la culture du dimanche en famille. Les paroisses et les districts devront aussi s’interroger sur l’accueil que l’on réserve aux familles pendant les messes dominicales. Les horaires, la durée, la présence d’une garderie et de l’Eveil à la Foi, des toilettes… sont autant d’éléments qui permettent (ou pas) à un parent de venir à la messe ! Il faut avouer que pour les familles, je pense en particulier aux familles monoparentales, c’est « mission impossible » d’aller à la messe lorsque la célébration est trop tôt ou trop tard, lorsque les enfants deviennent insupportables et que certains paroissiens (voire le prêtre !) grognent parce que les enfants sont "cireurs". Avoir un enfant signifie, pour beaucoup de personnes, être exclu de la pratique. Il faut le reconnaître et il faut que cela cesse !

EEM : Comment les acteurs de la paroisse peuvent-ils s’engager et se mettre en mission par rapport aux familles ?

Il y a une opportunité extraordinaire qui nous est fournie par les nombreuses familles qui viennent vers nos paroisses. C’est une opportunité que nous ne saisissons pas ; au contraire, on a parfois l’air de ne pas accueillir ces personnes pour leur montrer Jésus ! Je parle en particulier du catéchisme.

Les familles et le catéchisme : 50 à 60% des familles nous confient leurs enfants pour le catéchisme. Mais nous ne nous occupons pas de ces familles en tant que telles. L’Eglise enseigne que c’est la famille qui est la première responsable de l’éducation chrétienne de l’enfant. Le pape François l’a rappelé dans Amoris Laetitia récemment. On marche sur la tête et on s’épuise inutilement en ignorant les parents dans la catéchèse ; c’est contraire à tous les principes et c’est un échec puisque beaucoup de jeunes abandonnent l’Eglise à l’exemple de leurs parents ! Il faut donc que le catéchisme en Martinique se transforme en un grand mouvement d’évangélisation des familles et des parents (tous les parents, quelles que soient leurs situations matrimoniales). Cela concerne aussi les parents qui se préparent au baptême de leur enfant. On ne peut pas faire de plus beau cadeau à un enfant que de former chrétiennement ses parents, surtout lorsqu’eux-mêmes viennent frapper à la porte de l’Eglise.

En tout cas, l’époque où l’on vient inscrire son enfant au catéchisme et où l’on revient le chercher à la fin de l’année pour qu’il fasse sa communion, sa profession de foi ou sa confirmation doit être définitivement révolue en 2020. Par exemple, une visite annuelle systématique de chaque famille par un responsable de la paroisse et par le prêtre doit être mise en œuvre. On devra aussi imaginer des parcours familiaux plus courts mais plus instances pour préparer les sacrements. Ni l’âge ni le niveau scolaire ne doivent plus être le premier critère pour recevoir un sacrement, mais l’engagement de la famille dans l’Eglise et la formation reçue en famille… (Je reviendrai sur cette question dans le chantier sur l’éducation et le catéchisme).

EEM : Cet atelier concerne donc directement chaque paroisse et même chaque famille. La pastorale diocésaine va-t-elle intervenir ?

Vous avez raison, il y a un niveau de réflexion qui appartient au diocèse, notamment en ce qui concerne le discours moral en général. Je rappelle qu’il n’appartient à aucun fidèle de porter un jugement pastoral ou moral sur les personnes et encore moins d’édicter des règles ecclésiales. Cela ne veut pas dire non plus que chacun fait n’importe quoi. Mais ce ministère est du ressort propre des pasteurs et ultimement de l’évêque. Ici, la réflexion du diocèse doit porter sur le mariage et la préparation au mariage, la parentalité, les femmes, les hommes.

EEM : Vous pensez que quelque chose doit changer quant au mariage ?

Oh oui ! sans conteste. Le Jubilé des fiancés en février 2016 m’a ouvert les yeux sur les différentes conceptions du mariage et sur les pièges dans lesquels les couples tombent. Il m’appartient, avec les responsables diocésains, de réfléchir et de donner des directives.

Le « mariage aux Antilles » doit faire l’objet d’une étude et d’un programme d’enseignement spécial. Des gouffres successifs d’incompréhension se sont créés entre 3 conceptions différentes : la conception théologale de l’Eglise, l’opinion commune des fidèles et la pratique réelle des fiancés. Tout d’abord l’Eglise enseigne que le mariage est le sacrement qui valide obligatoirement toute relation d’amour légitime entre un homme et une femme. Ensuite, la plupart des fidèles ont parfois une conception mondaine du mariage comme le sacrement des gens-bien-comme-il-faut, ceux qui ont réussi leur vie chrétienne. Ainsi, on dit aux jeunes que tant qu’ils ne sont pas mariés, ils n’ont pas leur place dans l’Eglise ( !). Enfin il y a la conception des fiancés (je parle ici des personnes qui envisagent le mariage à plus ou moins long terme) qui envisagent le mariage quand leur vie de couple est bien installée, qu’ils ont du travail, des enfants et les moyens de dépenser quelques milliers d’euros pour faire une noce. A ce propos, il faudra faire une enquête sur les coûts et le business du mariage chez nous. Cela éloigne tant de couples de la bénédiction divine, du respect de leurs frères chrétiens et de l’amour.

Une évolution du discours sur les couples est aussi nécessaire. Il faudra arrêter de condamner systématiquement les personnes non mariées. Leur situation n’est pas parfaite devant Dieu, mais ils ne vivent pas dans la débauche pour autant. Certaines femmes souffrent tellement de cette situation, qu’elles refusent d’avoir des enfants et même, remplies de honte, font des avortements ( !) pour ne pas concevoir d’enfant « dans le péché ». ( !) Une belle réussite du diable, l’accusateur qui a toujours voulu prendre la place de Dieu. A ma connaissance, aucun enfant n’est conçu « dans le péché » puisque tout enfant est voulu par Dieu ! Pour comprendre la situation psychologique et sociale de ces couples de chrétiens non mariés, il faudra faire une enquête auprès des hommes ; bâtir un programme cursus de réflexion où ces personnes devront se sentir accueillies, aimées par l’Eglise, encouragées dans un chemin de progrès, comme on le fait pour les catéchumènes. Il faudra aussi réfléchir à la préparation et à la célébration du mariage. La pratique actuelle ne convient pas tout-à-fait.

Un autre point concerne l’éducation affective et sexuelle. En cette matière, tout et n’importe quoi se dit et se vit, pour le plus grand malheur des hommes, des femmes, des enfants et des jeunes. Une grande immaturité en ce domaine produit beaucoup de dégâts et de tristesses. Il ne s’agit pas de faire la morale aux gens, mais d’apporter à ceux qui le souhaitent une véritable éducation libératrice en laquelle l’Eglise est experte.

EEM : Mais il n’y a pas que la vie de couple dans la famille ?

En effet, la parentalité, le célibat, la féminité et la masculinité constituent aussi un atelier important. L’époque est difficile et stressante pour tous les éducateurs, et en particulier pour les parents. Eux-mêmes peut-être manquent de référentiel éducatif, mais l’environnement ne les aide pas. L’Eglise a des compétences, des associations, des professionnels, des structures d’aide : il faut que cela bénéficie au plus grand nombre ! Je propose que toutes les réalités familiales élaborent une charte des parents (comme cela se fait en Guyane). Que l’on pourrait offrir à chaque famille. Cette charte servirait de base aux enseignements que l’Eglise leur apporte. On peut même imaginer une véritable école des parents. Aujourd’hui, des associations comme Alternative-Espoir offrent déjà ce type d’aide ; il faudra certainement étendre le projet.

Je ne veux pas non plus qu’on oublie le nombre très important de célibataires de tous âges et de toutes situations. L’Eglise de 2020, et peut-être avant, doit réfléchir sur l’accompagnement des personnes célibataires.

La Pastorale des hommes et l’éveil de la féminité sont aussi des pistes de travail auxquelles notre communauté ne peut se dérober. Pour les hommes, on devrait, je pense, leur réserver des tâches particulières dans chaque paroisse. Les milieux trop féminins ne sont pas propices au ministère des hommes. Je préconise qu’on leur réserve de façon stricte certains ministères. Chaque pasteur verra selon le cas. Par exemple, l’accueil et le service d’ordre aux messes, la catéchèse (eh oui, la catéchèse !) ou mieux encore le cheminement, ou le service de l’autel… etc. Le Peuple de Dieu nous le demande et les initiatives prises en ce sens connaissent un véritable succès, signe d’une grande attente. On a fait le jubilé des hommes et on a vu le succès à la Ferme Perrine. Pour les femmes, déjà très présentes dans l’Eglise, mais peut-être pas assez prises en compte « en tant que femmes, mères, épouses, filles, sœurs… », reste à trouver des projets et à créer par exemple une Journée de la "femme selon le cœur de Dieu", dans l’esprit du Congrès des femmes organisé les 18, 19 et 20 novembre prochains par le Renouveau Charismatique.

EEM : D’autres projets ?

Oui, beaucoup. Mais je pense que ceux-là devraient suffire pour amorcer la réflexion synodale... Rendez-vous au prochain numéro de Eglise en Martinique pour le deuxième chantier sur la conversion missionnaire de la pastorale paroissiale.

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