Journée de la femme


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vendredi 8 mars 2024
Diocèse de Martinique

Interview de 2 martiniquaises inspirantes pour la Journée Internationale de la Femme

Chaque année, depuis mars 1977, le 8 mars est une journée d’action, de sensibilisation et de mobilisation dédiée à la lutte pour les droits des femmes, l’égalité et la justice. Cette Journée est aussi l’occasion de mettre en avant les initiatives qui placent les femmes au cœur de la création ainsi que leur participation à la vie sociale, culturelle, politique et économique. Le thème pour la Journée internationale des femmes (JIF) 2024 est Investir en faveur des femmes : accélérer le rythme.

La rédaction d’Église en Martinique est partie à la rencontre de deux femmes inspirantes pour cette journée Internationale :

  • Myriam Moïse est Maître de Conférences à l’Université des Antilles et chercheure au Laboratoire caribéen de sciences sociales (UMR– CNRS 8053). Ses domaines de recherche portent sur les productions littéraires, esthétiques et politiques des femmes afro-caribéennes. Elle a obtenu un Doctorat en Études anglophones à l’Université de Paris 3 La Sorbonne Nouvelle et un PhD Literatures in English à l’Université des West Indies, Trinidad. Ses domaines de recherche concernent les études postcoloniales, les études sur le genre, et l’analyse du discours, plus particulièrement les textes produits par les femmes afro-caribéennes. 
  • Stella Gonis est danseuse, chanteuse, tanbouyèz, elle voue sa vie au bèlè dont elle est l’une des étoiles montantes. Elle fait partie de cette jeune génération de chanteuse traditionnelle au talent incomparable. Opiniâtre, militante de tous les jours, elle donne vie au bèlè et partage sa joie de communiquer et transmettre la culture bèlè à tous ceux et celle qui veulent s’immerger dans notre patrimoine culturel et identitaire.

Myriam Moïse

  1. Pouvez-vous vous présenter en quelques phrases ?

Je suis Martiniquaise et plus largement caribéenne très engagée dans des activités de recherche et de coopération culturelle et universitaire dans la région Caraïbe - Amériques. Je m’intéresse en particulier aux questions d’égalité hommes/femmes et de justice sociale, raciale et environnementale en contexte postcolonial. 

2. Que signifie « le pouvoir » selon vous ?

Le pouvoir c’est pour moi avant tout la capacité de décider mais c’est aussi la capacité d’oser être soi, d’oser défendre les points de vue auxquels on croit fermement, d’oser défendre les causes et les valeurs auxquelles on est attaché. La notion de pouvoir est importante car le pouvoir c’est aussi le savoir, la montée en capacité et en puissance, “l’empowerment” est le terme anglais qui englobe le pouvoir de l’esprit et du corps pour les femmes. Je pense également que le pouvoir ne doit absolument pas être abusif et excessif mais toujours bienveillant. Qu’il s’agisse de leaders femmes ou hommes, tout chef d’équipe ou de projets doit savoir faire bon usage de son pouvoir, doit guider et instruire avec autorité tout en demeurant juste et droit. C’est ma vision du leadership féminin  

3. De quoi êtes-vous le plus fière ?  

Je suis fière d’être devenue la femme que je suis et surtout d’avoir fait la fierté de ma maman de son vivant. J’ai un papa formidable mais puisqu’on parle des femmes, je veux rendre hommage à ma mère car j’ai hérité de sa force de caractère et de son charisme. Il faut dire que j’ai eu la chance de grandir avec des parents très aimants, bienveillants et respectueux de mes choix. Je suis fière des valeurs humaines qu’ils m’ont transmises : l’amour du prochain, l’humilité, la charité, la solidarité, le partage, la quête de justice, la foi, la force de l’Esprit. Face aux obstacles, je m’accroche à toutes ces valeurs contre vents et marées ! Pendant mes années d’études à l’étranger, je me suis toujours entourée d’amies partout dans le monde qui partagent ces mêmes valeurs humanistes, et j’en suis très fière. 

4. Selon vous, quel est le plus gros problème auquel les femmes de votre âge sont confrontées aujourd'hui ?

Les femmes de ma génération, nées dans les années 80, sont encore trop souvent confrontées aux pressions sociales et familiales. Dans les familles antillaises, les femmes sont encore et souvent celles qui sont responsables du “care” c’est à dire le soin, le fait de s’occuper du bien- être de chacun, de prendre en main son foyer, sa famille, ses parents ou grands-parents dépendants. Cela peut poser problème à certaines femmes qui ne désirent pas endosser ce rôle même si d’autres considèrent que savoir soigner et s’occuper d’autrui est aussi une force et une forme de pouvoir. Dans mon cas, j’aime prendre soin de mes proches mais je prends aussi soin de moi-même et du monde qui m’entoure, dans la mesure de mes possibilités et en restant fidèle à mes valeurs. 

5. Quel message trouveriez-vous important de partager avec les jeunes femmes qui réfléchissent à leur carrière ?

Je pense que toutes les femmes devraient chercher à atteindre le meilleur et à transmettre le meilleur, c’est à dire oser l’excellence et toujours chercher à devenir la meilleure version d’elles-mêmes. C’est un véritable challenge mais je pense qu’en étant soi-même, on est forcément plus heureuse. La Martiniquaise Suzanne Césaire écrivait déjà en 1942, pendant la seconde guerre mondiale dans une Martinique coloniale opprimée sous le Régime de Vichy, en temps de pénurie et de persécution sous l’autorité de l’Amiral Robert, « an tan Robè » : “Il est maintenant urgent de se connaître soi-même, d’oser s’avouer ce qu’on est, d’oser se demander ce qu’on veut être.” Les textes de Suzanne Césaire dans la revue TROPIQUES appelaient implicitement à défier le système de censure et d’oppression de l’époque afin d’oser chercher la justice et la liberté. Je pense que les femmes en particulier ne devraient jamais se laisser freiner dans leurs ambitions et dans leur quête de justice, d’équité et de respect. Il faut toujours garder la foi et l’optimisme. 

6. Le thème de la campagne de la Journée internationale de la femme de cette année est Investir en faveur des femmes : accélérer le rythme, est-ce un appel à l’action ?

Oui, je crois qu’investir en faveur des femmes, c’est investir en faveur d’un avenir plus juste et plus équitable. Le rythme doit être absolument accéléré car il y a encore beaucoup trop d’inégalités et il y a eu un vrai recul depuis l’épidémie : dans le monde, les femmes et les filles sont encore plus nombreuses à vivre sous le seuil de pauvreté. Accélérer le rythme signifie donc accélérer le progrès afin de réduire plus rapidement la pauvreté systémique et les inégalités en donnant plus de moyens aux organisations civiles de défense des droits des femmes et aux institutions qui cherchent des solutions pour pallier les inégalités de genre et mettre fin plus rapidement aux oppressions patriarcales. Tout cela peut sembler utopique mais je suis de nature très optimiste. Je pense qu’il faut que la société donne plus d’opportunités aux femmes pour qu’elles se préparent à devenir des entrepreneurs et leaders de demain. Je crois aussi qu’il faut plus de solidarité entre les femmes martiniquaises elles-mêmes afin que nous investissions les unes en faveur des autres et que nous construisions ensemble une véritable sororité caribéenne engagée pour accélérer le progrès vers un monde plus juste pour toutes. J’aime aussi à dire que je prône un féminisme inclusif et pluriel car la recherche de l’égalité est l’affaire de tous, hommes et femmes, jeunes et moins jeunes. Les valeurs féministes sont des valeurs humanistes universelles.

Stella Gonis

  1. Pouvez-vous vous présenter en quelques phrases ?

Artiste pluridisciplinaire, Tanbouyéz , chantèz , dansèz. Cheffe d’entreprise de Madin’Bèlè Travail pour la culture. J’ai grandi dans un cadre familial équilibré, empreint d’amour, dont les mots d’ordre sont : persévérance et transmission. J’ai toujours fait corps avec le Bèlè, cette expression culturelle héritée de l’esclavage. Je prends du plaisir à jouer du tambour, à chanter et à danser. On a une vision coupable du plaisir, mais c’est ce qui nous rend heureux et il n’y a aucune honte à cela !

2. Que signifie « le pouvoir » selon vous ?

Le pouvoir pour moi c'est avoir une idée et ensuite la manifester dans le monde réel avec un impact. C’est la capacité qu’une femme dirigeante a de passer la parole, d’écouter les autres, afin de pouvoir décider. C’est aussi rencontrer les anciens qui chantent avant qu’ils ne disparaissent pour ne pas perdre ce savoir, et avoir la possibilité d’agir avec aisance, car nous avons le choix de changer les choses, chacun à notre manière.

3. De quoi êtes-vous le plus fière ?

Je suis fière de mon fils, de voir le résultat de mon travail et de me dire que le travail paie même s’il reste beaucoup à faire. Quand je joue, chaque coup de tambour est un battement de cœur où je descends au fond de moi-même pour puiser cette énergie puissante qui me permet de guérir mon histoire, d’être apaisée et d’aller vers mes racines de femme pour faire vibrer le chant de la femme que je suis devenue. Une femme pleine de gratitude pour mes parents, ceux qui m’ont formé, ceux qui m’ont aidé et pour Dieu.

4. Selon vous, quel est le plus gros problème auquel les femmes de votre âge sont confrontées aujourd'hui ?

Selon moi, les femmes de mon âge n’ont pas trop de difficultés parce que nous sommes encore dans la tranche d’âge qui ne baisse pas les bras. Quand on comprend que les épreuves difficiles que l’on vit, sont un moyen d’aider d’autres personnes en situation similaire, cela transforme la souffrance, les difficultés, les échecs en cadeaux. Ainsi, nos épreuves donnent lieu à un cheminement, qui nous fait avancer et grandir. Ki donk nou pa ka ladjé ayen. Sé vansé pou nou vansé.

5. Quel message trouveriez-vous important de partager avec les jeunes femmes qui réfléchissent à leur carrière ?

Le message serait de ne pas avoir peur d’oser, d’avoir plus confiance en soi et d’écouter son cœur. Il ne faut pas avoir peur d’affronter ses peurs. J’ai des peurs, bien entendu, mais j’essaie d’y faire face et de les transformer en énergie, sinon elles prennent le pouvoir sur moi. En 2024, nous ne pouvons plus rester là à ne rien faire pour notre avenir et le pays. La vie est dure. Fok pran kô nou an men ! Il faut avoir de l’espoir et l’envie que les choses changent. L’envie et l’espoir donnent une énergie incroyable, ce sont des moteurs pour moi et ils peuvent le devenir pour chacun de nous. Apprendre à écouter ses envies, à ne pas se mettre de limites, c’est une grande leçon de vie. 

6. Le thème de la campagne de la Journée internationale de la femme de cette année est Investir en faveur des femmes : accélérer le rythme, est-ce un appel à l’action ?

Oui je suis complètement pour cela. Que cela bouge encore plus. Ne rien lâcher. Les artistes féminines ont la mission de faire connaître la Martinique autrement. Notre pays mérite d’être connu pour son art, sa musique et pas uniquement pour ses plages. Il nous faut puiser de la force dans notre histoire particulière qui est très dure et dépasser cela pour devenir des artistes qui ne se conforme pas à une norme dans notre art et d’agir comme on le ressent. Nous devons aux générations futures de dire et de faire les choses. C’est le moment d’ancrer les idées dans la réalité.

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