Kannir or not kannir ? Telle est la question !


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samedi 7 mai 2022
Diocèse de Martinique

"Kanir", c’est un mot bien de chez nous... Et c’est aussi un mal bien de chez nous. "Canir", du vieux français tombé en désuétude, signifie « se couvrir de moisissures en exhalant une odeur désagréable ». Bref, pourrir. En créole, cependant, kannir est une des expressions les plus typiques ! Elle reprend toutes les nuances du riche vocabulaire français en ce domaine1.

C’est bien connu de tous les vendeurs et consommateurs de notre région : les objets s’usent plus vite ici qu’ailleurs. La température, le soleil, les alizés ou le taux d’humidité des Antilles entraînent une détérioration accélérée des voitures, des maisons, des équipements, des routes ou des aliments… La nature est sans pitié : si on laisse traîner une chose, inexorablement, en quelques jours, elle se dégrade et décatit. Sé bagay-la ka kanni !...

La lutte permanente contre ce pourrissement a fini par habituer certains à laisser kannir les choses, non seulement les biens de consommation, les objets perdus ou abandonnés parfois en pleine nature, mais aussi les relations humaines, les situations pratiques, les dossiers à traiter, les dysfonctionnements d’un groupe ou d’une administration ou les efforts vertueux pour s’améliorer… Une certaine stagnation putride apparaît comme un fait social surprenant et blessant…

Quels esprits ténébreux nous enchaînent ainsi pour que les choses traînent et que les situations se gâtent ? Le drame des VHU (Véhicules Hors d’Usage) innombrables ou celui des « dents-creuses » (ces maisons laissées à l’abandon un peu partout), ne sont t-ils pas les signes d’un problème de santé psycho-spirituel communautaire, les témoins d’un vieillissement résigné qui prend sa source en nos âmes ? Serions-nous Fatalistes ? (habitués à laisser les choses kannir). Découragés ? (Nous laisserions kannir notre existence, en renonçant à faire les efforts contre l’inexorable (A quoi bon ?) ; Pire, enfin, serions-nous Souffrants ? (nous laisserions tout kannir comme un cri de douleur). Le « kannissement » serait une forme de suicide par procuration, dirait un sociologue ! Kannir c’est mourir un peu.

La cause de ce mal est certainement un sujet passionnant de dissertation ! Mais, quoi qu’il en soit, la solution, le « ne-pas-kannir », est aux mains des croyants : Kannir vient de l’inaction, « ne pas-kannir » c’est donc passer à l’action. C’est agir. Poser des actes : Récurer ce qui est encrassé et moisi. Ranger les désordres. Re-dé-marrer ce qui est « marré » et à l’arrêt. Reprendre ce qui est « pris » ou ce qu’on a lâché. Réparer ce qui est en panne. Raccommoder les déchirures et les divisions… (par exemple, prendre sa plume, ou son portable pour écrire à cette personne à qui on ne parle plus depuis des mois ou des années : « cher untel, il est temps de nous reparler malgré nos différends »). Et surtout se laisser Réconcilier avec Dieu de toutes nos fautes. En réalité, si kannir c’est mourir un peu, ne-pas- kannir c’est Ressusciter.

Alors je m’adresse aux fils et filles de lumière de Martinique, ceux qui, à Pâques, se sont tenus debout, un cierge à la main pour chanter à plein poumon la résurrection du Christ : Quelles que soient les choses qui kannissent dans nos vies (… prendre le temps de les énumérer) ou dans notre société, invoquons la puissance de l’Esprit-Saint et laissons le Ressuscité vivre en nous. La Martinique en a bien besoin : « La Vie a vaincu la mort, la croix a vaincu l’enfer. ALLELUIA ! ».

+ Fr David Macaire, Archevêque de Saint-Pierre et Fort-de-France

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(1) - Rancir/ croupir/ moisir/ stagner/ se gâter/ se putréfier/ se corrompre/ se gangrener/ s’infester/ se vicier/ se flétrir/ s’abimer/ s’altérer/ s’avarier/ s’infecter/ décrépir/ décliner/ dégénérer/ dépérir/ déchoir /se délabrer/se déconfire/ se déliter/ tomber en ruine/ s’affaisser/ s’avilir/ s’effondrer

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