Le vin doux de l’Esprit ou le vinaigre de la croix


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jeudi 14 avril 2022
Diocèse de Martinique

Pour vous prêtres, qui est votre évêque ? et vous fidèles, qui sont vos pasteurs ? Si notre relation avec nos pasteurs n’est pas remplie du vin doux de l’Esprit-Saint, elle risque de tourner au vinaigre... Le même vinaigre que le Seigneur a reçu sur la croix !

Protecteur ou M. Seguin

Tout d’abord l’évêque, comme ses collaborateurs, les prêtres, est un pasteur. Il est celui qui conduit le troupeau, qui le protège et qui préside à son unité. Mais si ça tourne au vinaigre dans le cœur des prêtres et des fidèles, il n’est qu’un M. Seguin qui pour protéger sa chèvre, de peur qu’elle ne se fasse dévorer par le loup, l’enferme dans une étable. Certes, s’étant échappée pour gambader, ivre de liberté, dans la forêt, elle finit par se faire dévorer par le loup. L’évêque est-il le « M. Seguin » des prêtres ? Les prêtres sont-ils les « M. Seguin » des fidèles ?

Episcopos ou radar tourelle

L’« évêque » est l’episcopos, celui « qui veille sur » . Le « curé » est celui « qui prend soin ». Qui « veille sur » est aussi un « surveillant », un gardien de prison. Si ça tourne au vinaigre, on peut finalement là aussi considérer l’évêque, le curé, le responsable comme un radar tourelle : Placé bien haut, il « sur-veille » et flashe ceux qui dépassent la vitesse et font une erreur... Alors quand on s’approche du radar, on freine un petit peu pour être juste à la limite, et puis une fois qu’on a dépassé le radar, on ré-accélère à nouveau.

Enseignant ou donneur de leçon

Nos pasteurs ont reçu mission d’enseigner, comme maîtres de doctrine, mais aussi comme témoins de l’Évangile. Mais si cela tourne au vinaigre, ils sont vus comme des « profs », des supérieurs qui donnent des leçons. Les élèves sont toujours gênés lorsqu’un prof vient discuter fraternellement avec eux. Ils n’ont pas envie de les fréquenter.

Juge ou bourreau

…en tant qu’il doit faire respecter la discipline commune, le pasteur est juge. Service nécessaire pour éviter la loi du plus fort. Il ne juge pas en fonction de sa propre loi, mais bien celle de Dieu, celle de la communauté, celle de l’Amour. C’est donc un juge de paix. Mais si ça tourne au vinaigre, le juge devient un bourreau dans la tête de ceux qui lui sont confiés : investi de l’autorité religieuse, ne peut-il pas en abuser !?..(Et c’est vrai qu’il y a eu des abus !). Comme notre époque donne une prime systématique aux victimes, la tentation de se victimiser est fréquente. Les évêques, ou les prêtres ont « une bonne tête de bourreau ».

Bon gérant ou Koumandè

L’évêque est officiellement président de l’Association Diocésaine, comme le prêtre ou le responsable peut être président d’association et en charge de gérer les biens d’une communauté. Si ça tourne au vinaigre, d’aucuns le considèrent comme un potentat riche et ambitieux, un peu le contremaître, le « koumandè ». Celui vers qui se portent les critiques ou les flatteries.

Signe ou idole

Comme tout responsable, les pasteurs sont très exposés. Ils se doivent d’être signes et modèles certes ! Surtout l’évêque ! Mais le clergé n’est pas le seul à avoir le devoir d’exemplarité. Les autres fidèles confirmés sont et doivent être des signes. Le vinaigre, dans ce cas, est de considérer nos ministres comme des idoles. A la fois pour les adorer, les vénérer, et au contraire, pour ne leur permettre aucune erreur, aucune faiblesse, et les condamner systématiquement.

Frère ou adversaire

Enfin, l’évêque (comme le prêtre) est un frère-apôtre qui m’a été envoyé. C’est un disciple, missionnaire qui marche avec sa communauté (le sens du mot « synode »). Le pasteur partage la mission de chacun. Mais, si ça tourne au vinaigre, il peut susciter de la méfiance et de l’adversité : N’est-il pas un concurrent qui vient me voler ma gloire missionnaire, m’empêcher d’exercer mon charisme ? Avec Caïn et Abel le premier synode finit dans le meurtre et sang !

Mes frères, chers prêtres, Jésus était parfait… ça s’est quand même terminé dans le vinaigre. Donc entre vin doux et vinaigre, ça ne dépend que très peu des qualités ou des défauts du pasteur, mais de la maturité du peuple…

L’Essence du ministère Pastoral

Le renouvellement des promesses sacerdotales devant le pasteur du diocèse est un moment fort pour nous tous. Le monde a changé, marqué par des événements, des rumeurs, mais aussi des crimes. La relation aux autorités a changé dans la société. L’Église, c’est le choix du Christ, est fondée sur les apôtres, leurs successeurs, les évêques et leurs collaborateurs, les prêtres, les diacres et divers ministres. Mais sommes-nous vraiment tous d’accord sur la nature du service des pasteurs ? La réponse se trouve dans la liturgie de ce jour. Aujourd’hui (c’est rare dans la même messe) on a deux fois le même texte. Une fois dans le livre du prophète Isaïe, une autre fois dans la bouche même de Jésus : Le Seigneur « m’a consacré par l’onction, Il m’a envoyé annoncer la bonne nouvelle aux humbles, aux pauvres, aux captifs la délivrance ; aux prisonniers leur libération et guérir les cœurs brisés. » (Isaïe 61, 1) : Il y a là l’essence du ministère pastoral.

Le privilège d’être consacré par l’onction

L’onction que l’évêque a reçue abondamment sur sa tête, que les prêtres ont reçue sur leurs mains, comme nous l’avons tous reçue au jour de notre confirmation, est celle de l’Esprit-Saint. C’est le privilège d’être guidé et de se laisser conduire par l’Esprit. C’est un privilège que d’être prêtre, ministre, mais surtout prêtre du sacerdoce royal de tous les baptisés.

Être prêtre : c’est prier. L’onction a fait de notre vie un temple, une liturgie. Pas uniquement à l’église mais toute ta vie est devenue un service, une œuvre de Dieu : quel privilège ! Celui de se tenir en présence de Dieu et d’entendre finalement à chaque instant de sa vie : « Voici que je frappe à ta porte. Si tu ouvres, Moi, J’entrerai, Moi près de toi et toi près de Moi » (Ap 3, 20). Avant, il fallait rentrer dans le temple. Il y avait le parvis des païens, celui d’Israël, des femmes, des lévites, des prêtres, et seul le grand prêtre entrait dans le sanctuaire, etc. Aujourd’hui, chaque baptisé est un grand prêtre qui a le privilège d’intercéder, de porter en prière les intentions de tout le peuple. Quant à nous, mes pères, nous avons le privilège de porter le Corps du Christ et la Coupe du Salut sur l’autel. Le fait d’avoir été mis à part, consacré pour présider le service liturgique.

Mais être prêtre, c’est aussi un ministère de souffrance. C’est porter, non pas de façon superficielle mais dans un cœur transpercé, la croix des hommes. Mes frères, mes sœurs, vos prêtres portent vos croix. Ne l’oubliez pas. Ils sont marqués profondément, quand je les rencontre, quand je les vois, quand nous parlons, par les souffrances de vos familles, de vos enfants, de vos corps et de vos âmes, transpercés par ce qui blesse le peuple qui leur est confié. Y compris ceux qui ne sont pas chrétiens, pas catholiques ou qui ne viennent pas à la messe. Ils portent ces souffrances, profondément.

Être prêtre, c’est un ministère de souffrance.

L’autorité d’annoncer et de proclamer

Rappelez-vous par l’imposition des mains (et l’évêque a même droit à l’imposition d’une bible !) et vous tous, le jour de votre confirmation, vous avez été envoyés. D’ailleurs à la fin de chaque messe, on dit : « Allez dans la paix du Christ », allez annoncer l’Evangile. Chaque confirmé est investi d’une certaine autorité pour imiter Jésus-Christ. Eh oui ! Vous avez l’autorité pour proclamer l’Evangile, c’est- à-dire l’autorisation de parler au nom de l’Église. Il s’agit par la parole mais surtout par l’exemple, de témoigner ou d’enseigner (pour ceux qui en ont le ministère). Tous, nous avons ce ministère d’enseigner à nos enfants ou nos prochains, non pas en donnant des leçons, mais par une vie pleine de charité et d’humilité, en exhortant et en bénissant. Tel est ce grand ministère.

Mais ce ministère est aussi celui du martyr : le témoin donne sa vie dans et pour l’Evangile. Le chrétien qui ne verse pas son sang et reste sur la rive, est inutile dans la Sainte Église Catholique. Souvenons-nous que chaque prêtre, quels que soient ses qualités, ses défauts, ce qu’on pense de lui, a un jour donné toute sa vie pour le Christ, dans le célibat et l’obéissance ! Les prêtres ne sont pas les seuls à avoir ce ministère, mais le leur comporte une dose de mort à soi-même, voire de mort tout court ; tous les prophètes sont morts martyrs. Annoncer la Bonne Nouvelle, ça tue et regardez le Christ sur la croix.

Être prophète c’est être prêt à mourir.

La responsabilité de guérir les cœurs brisés

Enfin, le Seigneur m’a envoyé guérir les cœurs brisés. Le jour de notre ordination, nous avons reçu ce baiser fraternel de nos confrères mais aussi les acclamations des fidèles (et l’évêque reçoit l’hommage des prêtres du diocèse !). Car nous avons reçu ce ministère de paternité, celui de prendre dans nos bras, dans les bras de notre cœur, les hommes et les femmes portant toutes les souffrances, pour guérir les cœurs brisés, à l’imitation du Père Eternel. C’est notre service fondamental, celui de tous responsables (parents, éducateurs, soignants, ministres, etc.), mais surtout le ministère des prêtres et principalement de l’évêque. C’est pour cela qu’on nous appelle « mon père ».

Nous sommes invités à pontifier. Ah ! Pontifier… Ça ne veut pas dire se balancer comme le buisson d’épines au-dessus des autres arbres (cf. Jg 9,6-15), mais « faire des ponts » entre les hommes, les familles, les quartiers, les groupes. C’est mettre de l’ordre et mettre du lien ; présider à la charité. C’est la responsabilité de servir, d’être l’esclave de la charité dans le groupe. Ce ministère consiste à protéger et aussi celui de prendre des coups… pour (et par) le troupeau, subir les morsures des bêtes sauvages ; sans être protégé soi-même. Dans la montagne, le berger défend son troupeau mais il n’y a personne pour prendre sa défense.

Voilà l’essence du ministère pastoral pour ceux qui exercent le service : celui d’être non pas un chef au sens des hommes, mais au sens du Christ, un chef couronné d’épines : Être prêtre, c’est le ministère de la souffrance ; être prophète, c’est le ministère de la mort…

Être roi, serviteur, c’est le ministère des coups ;

La tendresse ou la tristesse

Pour finir donc, il y a deux chemins ; deux types de rapports avec ceux qui sont à notre service comme pasteurs. Il y a deux chemins et ces chemins, je vous le dis dans les yeux, ne dépendent pas de ceux qui ont la responsabilité ; (bien sûr, certains peuvent être iniques ou insupportables) mais cela ne dépend pas d’eux. Cela dépend, comme disait le pape François dernièrement, de la maturité des fils et des filles. Ces deux chemins sont celui de la tendresse ou celui de la tristesse, de la révolte. Ainsi en est-il pour nos parents. On découvre un jour qu’ils ont des défauts mais, devenus adultes, on les aime quand même avec tendresse, peut-être même encore plus. Il doit en être de même pour nos prêtres, notre évêque ou notre pape.

Le chemin de la tendresse ne veut pas dire celui du laisser- aller. Mais celui de la tristesse ou de la révolte est celui du diable, l’accusateur qui recherche une perfection et qui sera toujours déçu. Il vaut mieux trouver l’affection que de rechercher de façon immature la perfection de nos pasteurs. Réclamer la perfection ne peut mener qu’à la malveillance, la révolte, l’amertume, parfois même la haine.

Le chemin pour nous face à ceux qui sont à notre service (évêque, prêtres), c’est celui du fils prodigue. Il consiste à se laisser adopter comme fils, de se laisser ré-adopter. Se laisser envahir par le ministère de la paternité qui n’est pas un renoncement de sa propre personnalité, mais au contraire, le fait de laisser le père donner au fils toute son autorité. La joie du père c’est de voir son enfant grandir, devenir lui-même, devenir plus grand que lui.

Chers pères, on nous appelle « mon père », on a bien raison parce que notre paternité n’est pas celle de ce monde. Elle vient de ce que Dieu nous a donné le privilège, l’autorité, la responsabilité de prêtre, de prophète et de roi, pour souffrir, mourir et recevoir des coups. Nous attendons sans cesse le retour de nos enfants. Mais nous voilà à la fois fils et pères. En tant que fils, ne cherchons pas la perfection de nos pasteurs mais laissons grandir l’affection : un choix de la tendresse qui évite de se laisser décevoir par les doutes, les faiblesses et par les tentations de l’ennemi, et qui se laisse couvrir de baisers.

Ceci dit, rassurez-vous, comme je ne peux pas vous couvrir de baisers (vous seriez un peu gênés quand même !) j’ai préféré vous laver les mains avec de l’eau parfumée… « ça le fait ! ».

Amen.

+ Fr David Macaire, Archevêque de Saint-Pierre et Fort-de-France ■

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