Quelle est la place du créole dans l’évangélisation ?


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vendredi 25 octobre 2024
Diocèse de Martinique

Pour l’évangélisation la barrière de la langue est toujours un obstacle qu’il faut vaincre si l’on veut faire une véritable rencontre avec celui que l’on veut évangéliser. En 1965, le concile Vatican II a réalisé un tournant dans la mission, en confirmant officiellement la nécessité de l’inculturation.

Cette nouvelle orientation avait pour objectif de faciliter l’accueil de l’évangile dans les différentes cultures du monde. Le Concile Vatican II est un concile où l’Eglise revient à la Parole de Dieu et fait mémoire de l’évènement de la Pentecôte. Il est le moment où l’Esprit-Saint a été donné à l’Eglise pour que la bonne nouvelle parvienne à toutes les nations. En effet ce jour-là : « Tous furent remplis de l’Esprit- Saint et ils se mirent à parler en d’autres langues selon que l’Esprit leur donnait de s’exprimer » (Ac 2, 4). Mgr Maurice Marie-Sainte à l’époque Archevêque en Martinique a voulu saisir cette chance qui se présentait pour l’inculturation. Comment utiliser la langue et la culture créole pour mettre en lumière les expressions de la foi en Martinique ?

Aujourd’hui cela reste un défi à relever malgré quelques timides avancées. Intégrer la langue créole au côté de la langue française et du latin comme moyens et manière de vivre l’évangile et l’annoncer sans pour autant dénaturer le message de la Bonne Nouvelle et le contenu de la foi catholique. Voici cette mission qui attend les acteurs de la pastorale. A moins que nous n’ayons une autre interprétation de l’évènement de la Pentecôte et du concile Vatican II. L’Eglise a voulu revenir à ce qu’ont vécu les premiers disciples de Jésus lorsque lorsqu'ils ont reçu l'effusion de l’Esprit pour la mission de l’annonce du royaume. En acceptant le travail de l'Esprit à travers l'inculturation, c'est toute la société martiniquaise qui se sent reconnue et valorisée dans sa singularité. Si l’Eglise réussit à redonner sa place à la langue et à la culture créole dans sa liturgie au-delà de la communauté chrétienne, ce sera un bien pour tout le pays. Prier en créole est-ce manquer de respect à Dieu ? La langue et la culture créole dans nos pratiques religieuses ce n’est ni du folklore, ni du marronage liturgique et surtout pas le prétexte de la création d’une église parallèle, ni un culte des ancêtres. La langue créole est selon moi l’élément le plus fédérateur de cette communauté martiniquaise. Prier en créole ce n’est nullement manquer de respect à Dieu. Prier à partir de son patrimoine, c’est pour cette communauté témoigner à Dieu de la reconnaissance pour tout ce qu’il a fait personnellement et collectivement pour elle, dans son l’histoire avec sa tragédie. Prier en créole c'est dire à Dieu merci pour avoir fait de nous ses enfants. Prier en créole, c’est s’engager en reconnaissance des grâces que Dieu nous a faites, à réaliser tout le bien qu’il attend de nous. Dans notre culture créole nous avons établi un dialogue avec Dieu. Il nous parle à travers cette culture et cette langue qu’il nous a données dans une histoire tragique et en même temps belle. Comment faire pour que la culture créole accueille l’Évangile ?... L'heure est venue que la communauté martiniquaise se réhabilite à ses propres yeux trouve un peu de sa guérison à travers sa culture et son langage créole. La réparation d’une communauté humiliée par le mépris de l’histoire qui pour relever la tête s’est coupée d’une partie d’elle-même à savoir sa langue qui fait son génie est un acte de foi en Jésus-Christ pour qui tout reste possible. Le bilinguisme français-créole qui est une marque de notre société martiniquaise, lorsqu’il est accepté, apprend à bien marcher avec les deux jambes. On travaille mieux avec ses deux mains, comme pour bien respirer, on utilise ses deux poumons. Apprendre à bien s’exprimer en créole comme en français tant à l’écrire ne peut que nous enrichir tous, que nous soyons martiniquais autochtones ou d’adoption. Dans un premier temps si l’école a un rôle important dans l’éducation y compris avec les écoles catholiques, tout commence dans et par la famille, tout se fait avec elle. En effet elle est la première PCE (petite communauté ecclésiale) ou l’on se forme aux valeurs humaines, citoyennes et chrétiennes. Il revient aux parents de dire à l’Eglise ce qu’ils attendent pour leurs enfants de l’annonce de l’évangile en créole et ensuite des propositions pourront leur être faites. Dans un second temps il serait bon de proposer aux agents pastoraux laïcs et prêtres, religieux, religieuses en tant que missionnaires de faire le point sur cette question de la place de la langue créole dans la mission d’évangélisation en Martinique. Chacun serait invité à se demander : Quelle place je donne au créole dans l’annonce du royaume de Dieu ? Je parle du créole non seulement en tant que langue mais aussi en tant que culture, c'est-à-dire l’anthropologie, l’histoire, la géographie, les croyances, les moeurs, des codes sociaux, les relations entre personnes, les non-dits et les interdits qui permettent en Martinique aux personnes d’entrer en relation. Cela nécessiterait sans doute des formations adaptées en fonction des charismes et des missions ou simplement des partages de retour d’expérience pour découvrir les bonnes pratiques sur le terrain. On le sait l’annonce de l’évangile est une relation à trois (Trinitaire). Il y a le missionnaire qui annonce l’évangile – celui ou ceux qui écoutent l’annonce - et Dieu en la personne de Jésus- Christ qui est annoncé. Celui qui vit dans cette île avant même de connaitre de la Martinique son histoire, a un premier contact avec le pays profond en entendant les sons et les expressions de langue créole. Ce qui est déjà un premier apprentissage de la culture même lorsqu’on vient d’ailleurs. La mission se déroule toujours dans un lieu, un contexte et une période donnée. Il n'ya pas de mission en général ni de mission hors sol : celle-ci est toujours connectée à une réalité humaine particulière. Chez tous les peuples l’accueil de la Bonne Nouvelle bouscule et purifie la culture pour qu’elle devienne un moyen fiable pour la transmission de la foi authentique de l’Eglise.

Les destinataires de l’annonce de l’évangile doivent être invités à puiser dans leur propre culture les ressources que Dieu y a déposées, ces « pierres d’attentes » déjà là qui attendent qu’on les fasse sortir de terre. Les quatre principes de la mission peuvent s’appliquer à l’inculturation et mis en oeuvre de la manière suivante : Premièrement continuer ce qui a été fait avec les chants en créole pour les chorales. Cette oeuvre d’inculturation a commencé depuis 1964 avec le Père Louis Elie à la direction de la chorale du François et d’autres prêtres martiniquais. 

Deuxièmement consolider l’existant, avec des formations théologiques, bibliques et liturgiques dispensées par des agents pastoraux laïcs, prêtres, religieux religieuses qui veulent promouvoir dans l’église en Martinique l’art créole chrétien. En effet les chants créoles ou les traductions en créole doivent rester fidèles au sens du message Biblique et de la liturgie de l’Eglise. Troisièmement innover en puisant dans d’autres aspects de la culture, comme le fait Bèlè Légliz autour du tambour et avec l’une des musiques traditionnelles de la Martinique à savoir le Bèlè. Il est nécessaire d’évangéliser la culture en Martinique et cela dans toutes ces facettes. C’est la condition pour qu’en toute liberté les fidèles expriment leur foi sans qu’elle ne soit anesthésiée par la peur d’être accusé de manquer de respect à Dieu. Quatrièmement il serait bon d’élargir la démarche pour rejoindre les non-chrétiens et noncroyants avec qui nous vivons dans cette même société martiniquaise. Sans pour autant avoir la foi ils peuvent être sensibles à l’expression culturelle créole dans notre foi qui peut les rejoindre dans sa dimension culturelle et fraternelle.

Père Benjamin François-Haugrin, Curé de Bellevue et Schoelcher ■

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